27 avril 2013

Comment on empile des populations arrivantes démunies de tout

Comment expliquer ce qui nous a conduit ces dernières années à emboliser et à dévoyer durablement les dispositifs d'hébergement d'urgence et d'insertion, mais aussi à entasser des populations en « situation administrative complexe », populations démunies de tout, prises en charge par les collectivités, et qui sur le bassin Grenoblois en cette fin avril 2013 doivent avoisiner les 2000 individus.
On va retrouver là aussi les conséquences déjà évoquées de l'impossible débatde ces conflits virulents entre acteurs "pragmatiques" et "humanistes" qui peuvent largement se nourrir des contradictions, incohérences et subtilités des lois et procédures.
A la base, les règles qui déterminent les droits de séjour et leur limitation dans la durée en fonction du statut des entrants, sont à la fois complexes mais précises. Il en va tout autrement de leur mise en application, dès lors que ces règles et leurs conséquences sont contestées par de nombreux réseaux militants qui au nom des "droits de l'homme" au sens large du terme, trouvent tout sorte de biefs et de moyens de pression pour empêcher leur mise en oeuvre.
Par exemple, et on peut le comprendre, les réseaux militants de l'éducation nationale font régulièrement pression sur les élus afin d'obtenir le maintien sur le territoire de familles déboutées de leur demande d'asile, mais dont ils ont accompagné l'épanouissement scolaire des enfants pendant les 24 mois d'instruction de la première demande et procédure d'appel. Mais donc ces ménages, déboutés de la demande d'asile, se retrouvent en situation irrégulière sans droits leur permettant d'accéder au marché du travail et d'évoluer vers une autonomie. 
Egalement des acteurs importants comme la FNARS (Fédération National des Associations de Réinsertion Sociale) se sont appuyés sur une approche strictement "juridique" des principes "d’inconditionnalité de l’accueil" et de "continuité" inscrits dans la loi pour le Droit Au Logement Opposable (loi DALO), pour promouvoir l'accès de ces ménages sans-droits de séjour dans les dispositifs d'hébergement et d'insertion comme explicité sur leur site.
Pour eux il n'y a pas d'opposition juridique à ce que le principe de continuité s’applique aux personnes en situation irrégulière. Ce principe stipulant que "toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée…", cela veut donc dire selon leur point de vue, que toute personne entrée sur le territoire doit pouvoir potentiellement si elle le souhaite, prétendre à une prise en charge de longue durée, même en cas de réponse négative à une demande de séjour. Générosité extrême s’il en est, où comment, à partir d’une loi promulguée précipitamment sous la pression des campements parisiens des "Enfants de Don Quichotte", et dont les modalités d’application n’ont pas été clairement encadrées par des textes réglementaires, défendre et promouvoir un accueil universaliste et humaniste illimité, qui a aussi servi à alimenter une forme d'esprit de résistance à un gouvernement "Sarkoziste" perçu comme persécutoire par les réseaux militants du social.
Où l'on voit, une fois de plus, les conséquences insidieuses d'un débat politique qui a pris ces dernières années une tournure particulièrement agressive et combative, servant ainsi les stratégies de reconquête du pouvoir de la gauche.
Avec le changement de gouvernement la FNARS a eu l’écoute de la nouvelle ministre du logement qui a répondu à leur demande en proclamant haut et fort dès l’été 2012, que toutes les personnes mises à l’abri dans le cadre de la campagne hivernale à venir se verraient proposer des solutions d’hébergement ou de logement à l'issue de cette campagne. Message bien reçu il semblerait, puisque la même FNARS fait apparaître dans son baromètre 115 de février 2013 une augmentation de 28% de la demande d’une année sur l’autre, augmentation dû à « l’explosion de la demande des familles » de +72%. Etant également précisé que « 70% des familles étant originaires de pays hors de l’UE, les demandes des personnes en famille d’origine hors UE ont doublé entre février 2012 à février 2013. »
Des chiffres qui viennent contredire l'argument de ces acteurs selon lesquels ces mesures de maintien des places hivernales ne devraient pas provoquer "d’appels d’air" mais permettraient uniquement de résoudre les besoins du flux habituel de demandes.
Les chiffres sur le territoire de l’Isère sont éloquents pour démentir ce raisonnement, puisque ce sont environ 600 personnes qui ont été accueillies dans le dispositif hivernal 2012/2013, dont 80% environ de personnes étrangères au territoire. 600 personnes qu’il faut rajouter aux 400 déjà présentes dans les dispositifs de maintien des années précédentes et aux 700 hébergées dans des hôtels de l’agglomération Grenobloise pour les mêmes raisons.
Donc pas loin de 2.000 personnes démunies de tout, à prendre complètement en charge, certains ménages le sont déjà depuis plusieurs années, sans que l’on comprenne bien quel pourra être leur avenir : retour au pays ou insertion durable alors même que leur situation administrative leur interdit l'accès au travail ?  
Sans parler des arrivées nouvelles, des campements sauvages qui commencent à se reconstituer en Isère, car l’on comprend bien l’espoir qui est ainsi proposé à tous les candidats dont on ne voit pas bien à quel titre on pourrait leur refuser de bénéficier des mêmes conditions. Et les informations montrent que le même phénomène se produit dans le Rhône, et probablement dans d'autres départements, le baromètre de la FNARS concerne d'ailleurs 47 départements.
Il faut voir aussi les conséquences sur le secteur de l’hébergement d’urgence et d’insertion complètement englués par cette demande exponentielle qui dépasse largement ses capacités de réponse. D'autant qu'en conséquence de cette application universelle du "principe de continuité" défendue par la FNARS et évoqué plus haut, on retrouve déjà des volumes significatifs de ménages "sans droits" dans les "Centres d'Hébergement et de Réinsertion Sociale" (CHRS), ce qui bloque durablement des places, ces personnes n'ayant pas de possibilité d’accéder à l'autonomie. Ainsi depuis quelques années ces pressions militantes ont abouti à dévoyer les missions de base des CHRS, dont on ne sait plus trop bien s'ils ne sont pas devenus des annexes de l'intégration de la demande d'asile.
Cette réalité est à mettre en perspective avec des représentations médiatiques qui, lorsque elles évoquent la problématique du manque de place d’hébergement, y compris lors de la spectaculaire démission de Xavier EMMANUELLI de son poste de responsable du Samu Social de Paris à l'été 2011, mettent en exergue quelques SDF traditionnels ou travailleurs pauvres qui ne représentent qu’environ 20% de la demande et des besoins, ne justifiant aucunement l'augmentation des places réclamée à grand cris.
Il y a là de la tromperie, et une forme d’irresponsabilité collective, de la part d’acteurs qui ne disent pas clairement la réalité du terrain et prennent le risque de nous précipiter vers des scénarios d’explosion sociale et de montées du populisme, qu’ils seront je n'en doute pas les premiers à dénoncer. 
Qu'au moins on affirme haut et fort une volonté d'absorber une part de la détresse des populations de la planète en général et des roms des Balkans et de Roumanie en particulier, mais alors il conviendrait d'organiser ces prises en charge, d'intégrer leur financement dans des budgets pluriannuels et d'en fixer les limites.
Toujours est il que ce manque de transparence et cette gestion au jour le jour sans projet précis et durable, sans budgets, et qui alimente une forme de guerre politique qui se déroule au dessus de nos têtes, rend les choses particulièrement pénibles à vivre pour tous les acteurs de terrain qui ont dû s'adapter à cette situation de crise permanente en place depuis l'hiver 2010. Pour moi, le sentiment dominant partagé par bien des opérateurs c'est que, alors même que nous n'avons pas les moyens de nous occuper de la détresse des populations du territoire qui est la raison d'être de nos dispositifs d'hébergement d'urgence et d'insertion, nous avons été et nous sommes pour longtemps encore complètement débordés et embolisés par de nouveaux arrivants qui ne peuvent qu’accroître ces difficultés en question.
Il ne m'apparaît pas raisonnable en conclusion, à un moment où le marché du travail connaît une crise sans précédent, où les budgets fondent comme neige au soleil, où nous sommes déjà débordés par nos problèmes intérieurs, de continuer à accueillir de telles masses de populations nouvelles démunies de tout, dont les besoins de prise en charge et l'impact sur les systèmes sociaux n'ont fait l'objet d'aucune évaluation, et que l'on entasse sans autres perspectives sur le court et moyen terme. 

Christian Chevalier


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